Le Cheval dans les Cultures Préhistoriques : Chauvet, Pech Merle, Lascaux…

cheval fjord type cheval primitif

Un lien millénaire entre l’Homme et le cheval

Depuis des dizaines de milliers d’années, l'Homme et le cheval entretiennent une relation complexe et fascinante. Bien avant que le cheval ne devienne un fidèle compagnon de selle ou de travail, il était déjà au cœur des préoccupations des premiers humains. Avec un talent artistique remarquable, ces derniers ont immortalisé le cheval sur les parois de grottes emblématiques dont parmi les plus connues en France, les grottes de Chauvet, du Pech Merle et de Lascaux . Que nous disent ces fresques sur notre lien profond avec cet animal ? Que révèlent-elles sur la spiritualité et les pratiques rituelles des sociétés préhistoriques ? Explorons dès à présent l’importance du cheval pour nos ancêtres et essayons d’identifier la symbolique et les techniques artistiques de ces chefs-d'œuvre du paléolithique.

I. Pourquoi représenter le cheval dans les grottes ?

L’environnement naturel des chasseurs-cueilleurs

Il y a entre 40 000 et 12 000 ans, l'Europe était dominée par de vastes steppes et des paysages de toundra, peuplés de grandes faunes à une époque de refroidissement global de la planète. Les groupes humains, qui peuplaient majoritairement le Sud du continent, étaient des chasseurs-cueilleurs, suivant les migrations animales pour assurer leur subsistance. Le cheval sauvage, alors un animal commun sur ces territoires, occupait une place de choix parmi les grands herbivores chassés, comme le bison et l’auroch.

La symbolique du cheval dans les cultures préhistoriques

Le cheval n'était pas seulement une proie pour nos ancêtres, mais un animal entouré d'une certaine aura. Les archéologues s'accordent à dire que les représentations artistiques du cheval dans les grottes allaient bien au-delà de la simple description animalière. Il représentait de 25 à 30% de la totalité des représentations animales alors qu’il n’était pas l’animal le plus consommé, loin derrière le renne par exemple. Pour beaucoup, ces images avaient une valeur symbolique et spirituelle. Certains chercheurs, comme l'archéologue Jean Clottes, suggèrent que ces fresques pourraient être liées à des pratiques chamaniques, où les animaux jouaient le rôle d’intermédiaires entre le monde terrestre et celui des esprits.

En effet, la présence de chevaux sur des sites éloignés des zones de chasse, laisserait à penser que ces animaux avaient une importance indépendante de leur rôle de proie. Si le sens profond de ces représentations ne pourra probablement jamais être clairement identifié, de nombreuses hypothèses existent et rien n’interdit de penser que selon les époques, selon les groupes humains, selon les lieux, le sens puisse différer. Certains y verront une simple représentation de scènes de chasse, des marqueurs de territoires, un rôle mythologique et légendaire associé à certains pouvoirs, un marqueur de l’avancée de la domestication, une fonction éducative pour la transmission intergénérationnelle ou encore une représentation de la notion de mouvement, de liberté, d’énergie…

II. Les chevaux dans les grottes de Chauvet, du Pech Merle et de Lascaux : diversité des styles et significations

Chauvet : la force primitive

Située en Ardèche, la grotte Chauvet a été découverte en 1994. Elle aurait connu deux périodes d’occupation distinctes, l’une autour de 35 000 ans avant notre ère, l’autre autour de 30 000 ans. Elle contient certaines des plus anciennes fresques préhistoriques au monde et, découverte près de 50 ans après Lascaux, a permis d’actualiser notre vision d’un art pariétal qui aurait évolué linéairement à travers les âges. En effet, des techniques de représentation similaires peuvent être éloignées de plusieurs milliers d’années (préparation des parois, utilisation des reliefs et irrégularités de la roche, nature des pigments, estompage et nuances, tracés digités…).

Comme dans toutes les grottes ornées, les représentations animales sont très nombreuses. Mais à Chauvet, fait rare, les animaux non chassés ou dangereux représentent près des deux tiers des 447 représentations animales. Le cheval lui, bien présent malgré tout, n’arrive qu’ensuite avec 14% des représentations animales, qu’elles soient peintes ou gravées.

Ici, les chevaux sont représentés de manière partielle (les têtes successives de l’emblématique Panneau des chevaux dont l’alignement suggère une volonté de représentation dans l’espace et structurent l’œuvre dans son ensemble) ou disposants de membres particulièrement cours, un ventre très arrondi et la crinière en brosse. On y perçoit un animal proche des chevaux primitifs tels que l’on pourrait les imaginer. Les pigments utilisés à Chauvet sont issus du charbon (noir, au fond de la grotte) ou d’ocre rouge (dans la première partie de la grotte). Les figurations sont ainsi essentiellement monochromes


Pech Merle : les chevaux ponctués

Découverte sur la commune de Cabrerets en 1922, la grotte du Pech Merle est celle qui, des trois citées ici, fut ouverte au grand public le plus tôt (1924) et la seule qui, encore aujourd’hui, se visite dans version originale. Les fresques qui s’y trouvent sont datées d'environ 29 000 ans et les représentations animales (69 dont 9 chevaux seulement) y sont moins nombreuses qu’à Lascaux ou Chauvet.

La grotte du Pech Merle se démarque en revanche par sa majestueuse Fresque des chevaux ponctués qui encore aujourd’hui intrigue tous les passionnés d’art pariétal. Le  corps des deux chevaux ici représentés sont recouverts de nombreux points noirs qui ne semblent pas faire référence à la robe du cheval. Ont-ils une valeur rituelle, spirituelle, symbolique ? Les hypothèses varient mais difficile de s’avancer avec certitude. 

Le choix stylistique aussi est particulièrement marquant. Avec leurs têtes de très petite taille qui viennent s’inscrire dans un morceau de roche ayant lui-même le profil d’une tête de cheval, ils n’ont ni l’aspect primitif des chevaux de Chavet, ni le détail naturaliste des chevaux de Lascaux. Ils apparaissent comme une véritable mise en abîme qui en dit long sur la capacité d’abstraction évidente des populations de l’époque.

Comme signée de plusieurs mains négatives, plongée dans la pénombre de la grotte, la fresque des chevaux ponctués apparaît comme un acte symbolique, une production humaine pouvant jouer le rôle d’intermédiaire entre le monde réel et un monde plus spirituel.

Lascaux : la beauté réaliste et la richesse des détails

Découverte en 1940, la grotte de Lascaux est située en Dordogne. Sa fréquentation par les peuples préhistoriques remonte à 21000 / 23000 ans et l’art pariétal qui y réside se rapporte à la culture solutréenne (voir l’article sur les origines du cheval Camargue). Lascaux, plus récente que Chauvet et la grotte du Pech Merle, est souvent considérée comme l'une des plus impressionnantes manifestations de l'art pariétal préhistorique. Avec 360 chevaux sur près de 600 représentations animales, le cheval y tient la plus belle place. On y découvre des détails saisissants et une représentation plus dynamique et diverse que dans les deux grottes précédentes.

Les chevaux de Lascaux sont représentés avec un grand réalisme. On distingue des traits fins pour les muscles et la structure corporelle ou même la position des oreilles, montrant une observation minutieuse et naturaliste de la part des artistes. La Frise des petits chevaux qui s’étend sur près de 9 mètres, représente par exemple une succession d’équidés longeant comme un chemin lui-même représenté par une cassure naturelle dans la roche. Les chevaux arborent des statures, des allures et des couleurs de robe différentes. Ne serait-on pas tenté de voir là un témoignage visuel des nuances de robes déjà existante à l’époque, mettant à distance une image standardisée du cheval primitif ? Une telle diversité sur un même panneau dénote enfin une évolution de l’approche artistique des populations de l’époque. Pour remettre les choses dans leur contexte, il faut se rappeler que plus de 10 000 ans séparent les représentations de Lascaux de celles de Chauvet ! Une période bien plus importante que celle qui nous sépare, par exemple, d’un Léonard de Vinci… 

III. Les techniques artistiques préhistoriques et leur interprétation moderne

Observation des chevaux et maîtrise des matériaux

Les fresques de Lascaux, Chauvet et Pech Merle montrent une maîtrise remarquable des matériaux et des techniques par les artistes préhistoriques. Les pigments naturels utilisés, comme l’ocre rouge, la manganèse et le charbon de bois, étaient soigneusement préparés pour offrir une gamme de couleurs vives et durables. Les artistes adaptaient leur technique en fonction des supports (roche calcaire, parois lisses ou rugueuses), utilisant parfois leurs mains, des pinceaux rudimentaires ou des souffleurs à pigments pour créer des contours nets et précis.

Cette maîtrise technique suggère que ces artistes n'étaient pas de simples chasseurs, mais qu'ils détenaient un savoir-faire et des connaissances transmises de génération en génération. Pour les spécialistes d’aujourd’hui, l’étude des pigments et des techniques picturales permet de mieux comprendre les pratiques culturelles et sociales des groupes paléolithiques.

Sur le plan du savoir, les nombreuses représentations animales, et plus particulièrement du cheval, dans des situations, des attitudes et avec nombre de détails morphologiques précis, nous permettent de déduire que les peuples préhistoriques détenaient une connaissance très précise des animaux qui les entouraient, liés à une observation méticuleuse de leur environnement et, probablement, une capacité à transmettre le savoir de génération en génération.

L'art pariétal, une pratique universelle ?

Les fresques équines ne sont pas une exception propre aux grottes françaises. D'autres sites européens, comme Altamira en Espagne, montrent également des chevaux parmi leurs fresques, indiquant une fascination pour cet animal à travers une grande partie du continent. Chaque région possédait son propre style et ses spécificités artistiques, mais le cheval semble être un motif commun, témoignant d’une importance partagée pour les sociétés paléolithiques.

Ces comparaisons permettent d'enrichir notre compréhension de la place du cheval dans les cultures anciennes et de questionner les variations régionales en matière de symbolisme animal. Les fresques préhistoriques révèlent une diversité culturelle réelle, où chaque groupe développait ses propres pratiques tout en partageant des motifs et des symboles universels.

Cheval barbe portrait statue antique

L’évolution du cheval et de sa représentation

Le passage du cheval sauvage au compagnon domestiqué

A la fin de l’ère glaciaire, les grandes steppes sont remplacées par de vastes forêts, limitant l’habitat naturel du cheval sauvage. Il disparaît ainsi du continent américain il y a près de 10 000 ans. Il occupera dès lors principalement la région eurasienne où sa domestication aura lieu peu à peu, bien après les bovins et caprins par exemple, il y a de cela environ 5000 ans. La domestication a alors radicalement transformé la relation entre l’homme et le cheval. Les fresques rupestres témoignent d'une époque où le cheval était encore une créature sauvage à la symbolique très marquée. La domestication a transformé le cheval en un allié essentiel pour les déplacements, l’agriculture et la guerre, modifiant ainsi la manière dont il était perçu.

L’étude des représentations de chevaux dans l’art préhistorique offre ainsi un regard précieux sur cette relation bien différente de celle que nous avons aujourd’hui avec eux. 

De la préhistoire à l’art moderne : une fascination continue

Il est intéressant de constater que la fascination pour le cheval a traversé les âges. Des artistes modernes, au premier desquels Picasso, ont revisité les fresques rupestres, inspirés par la force primitive des représentations animales.

Les mythologies grecque, nordique, celtique et même contemporaines font la part belle aux chevaux, que ce soit sous forme de destriers de guerre, de créatures célestes ou d'animaux-totems. Cette continuité des symboles autour du cheval (liberté, noblesse, puissance…) montre que notre fascination pour cet animal, ancrée depuis la préhistoire, n’a jamais cessé

A titre personnel, je perçois pleinement mon travail photographique comme s’inscrivant dans la continuité de ces représentations figurées du cheval.

Les musées et les reconstitutions : un lien entre passé et présent

Aujourd'hui, les visiteurs des différentes répliques de Lascaux ou Chauvet, de la grotte originale du Pech Merle,  peuvent continuer à observer les fresques préhistoriques dans un environnement protégé. Les musées qui y sont associés permettent de mieux comprendre les motivations des artistes préhistoriques et d'explorer la place centrale du cheval dans leur culture. Aussi, l’engouement pour ces sites montre que notre fascination pour ces représentations millénaires reste intacte. Et le passage au digital se fait naturellement avec, par exemple, la visite virtuelle de la grotte de Lascaux


Pour aller plus loin :

  • Jean Clottes et David Lewis-Williams, Les Chamanes de la préhistoire , (1ère édition : 1996) POINTS, 2015

  • Gwenn Rigal, Le temps sacré des cavernes, BIOPHILIA, 2016

  • Hervé Chassain, La grande histoire de Lascaux, EDITIONS SUD OUEST, 2016

  • Françoise Estève-Mosse et Carole Deschamps-Etienne, LA GROTTE CHAUVET-PONT D’ARC : Ses inventeurs racontent… et autres découvertes, EQUINOXE, 2015

  • Maryse David, La fabuleuse histoire de la grotte du Pech Merle, TAUTEM, 2018

  • Michel Lorblanchet, Pech Merle, centre de préhistoire, grotte et musée, CENTRE DE PREHISTOIRE, 2003

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